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Au vif de ma plume : Adeline

Au vif de ma plume : Adeline

Parce que je voulais que Momig soit beau, j’ai choisi l’imprimerie Escourbiac et j’ai croisé la route d’Adeline

Adeline prend soin des êtres de chair et de papier.
Elle porte un regard toujours curieux sur le manuscrit qui lui arrive, qu’il soit édité à compte d’auteur ou par une grande maison, qu’il soit le fruit d’une impulsion ou l’œuvre d’une vie, il arrive, tout simplement, un jour, sur son écran. Et à ce titre, il sera traité comme tous ses semblables, avec bienveillance et lucidité, avec le regard professionnel d’une enfant formée sur le tas.

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Entre ses mains expertes, le livre va soudain prendre une toute autre forme : éparpillé, éclaté en mille pétales appliqués têtes en haut, têtes en bas, têtes bêches, sur de grandes feuilles de papier, le livre n’existe plus, le fil rouge est rompu, plus personne après elle ne saura à quoi il ressemble. Elle prépare le repas de l’ogre qui attend derrière la baie vitrée, l’ogre aux cent bouches, qui va avaler et recracher inlassablement le cyan, le jaune, le magenta et le noir, ces sources vives qui forment, subtilement dosées, les o et les a, les pleins et les déliés, les chairs offertes et les zones d’ombre.

Tout le monde l’attend au tournant, le coloriste, le coupeur, le plieur, le pelliculeur, le couseur, chacun attend la petite marque qu’elle a posée pour lui, l’empreinte qu’Adeline lui a laissé discrètement, pour qu’il sache se caler, comment agir en toute sécurité, comment aller plus vite sans se tromper et pouvoir rentrer chez lui, avec la conviction du travail bien fait. Tout le monde attend derrière la baie vitrée, dans le bruit infernal des presses, dans la chaleur des séchoirs, dans l’odeur tenace des encres, dans les micro poussières qui envahissent les cerveaux, dans l’air acide, jamais changé parce que ça tourne, ça tourne, sans répit, nuit et jour, jour et nuit «vous savez combien ça coûte une heure de ces machines ? »

Extrait du portrait d’Adeline.